A la poste

Ce lundi d'après Toussaint, je me rends à la poste, place du Malpas, pour acheter des timbres.
Il y a deux personnes devant moi, une dame venue chercher un recommandé que la postière, confuse, ne retrouvera jamais, et un vieux monsieur, bien blanc de cheveux, et comptant deux appareils auditifs de plus que de dents.
La recherche du recommandé de la 1ère dame (pas l'épouse du 1er ministre, la dame qui était là avant moi) se faisant longue, mais hélas toujours vaine, la mine de la postière et la file d'attente commencent à s'allonger proportionnellement.
La postière décide alors de postposer les recherches et s'occupe du vieux monsieur. Vieux monsieur, qui lui demande, avec une voix éraillée, et un accent hésitant, deux " Waillne for laillfe "…
Une envie de fou rire me submerge et je ne dois qu'à un effort de concentration surhumain et à une morsure de lèvre très douloureuse, de ne pas exploser. Il y a d'ailleurs intérêt car je devrais sortir et reculer de 4 places dans la file d'attente.
Ce qui me fait le plus rire, ce n'est pas tellement la prononciation anglaise. Dans tous les médias, on nous bombarde de dénominations anglaises, et ça ne doit pas toujours être facile de s'y retrouver quand on n'a jamais eu l'occasion d'avoir un cours d'anglais. D'ailleurs, quand j'étais petit et que j'allais loger chez ma grand-mère, à Crupet, bien que nous nous lavions avec le même savon, j'employais du " Seunlaillte " pendant qu'elle utilisait du " Sunliche ", et ça ne nous a jamais empêchés d'être propres tous les deux.
Non, ce qui me fait le plus rire, c'est de parier à ce point sur l'avenir. On vit dans un monde où on fait l'éloge du moment présent (" carpe diem "), où on ne sait pas de quoi l'avenir sera fait, que ce soit dans la vie professionnelle ou conjugale, dans la crise ou l'essor économique, dans les plans de paix ou de guerres locales, régionales, internationales ou pire…
Moi qui suis né juste après l'année érotique, un peu avant la grosse crise pétrolière et les dimanches sans voiture, et qui statistiquement devrais encore avoir plus de temps devant moi que derrière, moi qui n'ai jamais rien connu de très horrible, je préférerais effectivement viser un gros pactole d'un coup, plutôt qu'une somme modeste pendant longtemps.
Alors, voir quelqu'un qui pendant la 2ème guerre mondiale, avait certainement un âge suffisant pour très bien se rendre compte de ce qui se passait, encore acheter, en 2003, un billet de Win for life, sur le moment, et sans vouloir me moquer, ça a failli me faire imploser de rire.
Et puis, après y avoir réfléchi, je me suis dit : soit ce monsieur a encore une confiance fantastique dans la vie, soit la Loterie Nationale devrait songer à orienter les gens selon leurs besoins.
Mais finalement, c'est peut-être là que je me trompe. Le monsieur, il n'a peut-être besoin ni du Win for life ni du Lotto, il en a peut-être seulement envie. Il a peut-être seulement envie de penser qu'il pourrait vivre encore 30 ans, et, vu comme ça, ça me donne une bonne dose d'optimisme.