Malonnois du bout du monde
Le projet vise à prédire les risques de maladies transmises par les moustiques, plus particulièrement la malaria et la fiè-vre dengue, en fonction des changements d'occupation du sol. Ces deux maladies, malgré des campagnes de soins et de prévention importantes dans le pays, continuent de faire des ravages et sont un problème croissant dans l'ensemble de la zone intertropicale. Ainsi la malaria, qui a pu apparaître comme en voie d'éradication il y a une vingtaine d'années, semble devenir un problème inextricable aujourd'hui notamment à cause de la résistance développée par le parasite aux médicaments classiques, dans de nombreuses régions. La fièvre dengue est quant a elle essentiellement liée a l'urbanisation. Par ailleurs, le changement climatique pourrait provoquer l'apparition ou la résurgence des maladies transmises par les moustiques sous nos latitudes tempérées.

Le projet, intitulé RISKMODEL, regroupe plusieurs universités et institutions européennes, mais compte aussi l'Université de Chiang Mai parmi ses partenaires. C'est en tant que géographe de l'Université Catholique de Louvain que je suis ici. Mon rôle est de cartographier les changements d'occupation du sol au moyen d'images satellitaires et de photos aériennes, et ensuite de les comprendre a l'aide d'enquêtes socio-économiques réalisées auprès des agriculteurs, qui forment l'un des principaux groupes d'acteurs de ces changements. Les autres principaux acteurs sont les promo-teurs immobiliers et les propriétaires terriens, que je tâche de rencontrer également. Plus concrètement, sur le terrain, mon travail consiste à réaliser ces enquêtes à l'aide d'un interprète (voire deux, dans le cas des ethnies dans les zones de montagne, avec toutes les difficultés que cela peut poser). Les interviews sont basées sur un questionnaire formel desti-né à des traitements statistiques, mais permettent aussi des discussions plus ouvertes, qui sont bien souvent tout aussi instructives, et très utiles dans la compréhension du système agraire local et des critères intervenants dans les décisions des gens. Ces deux choses varient énormément d'un endroit à un autre, car les ressources varient fortement: le type de terres accessibles, les possibilités d'investissement, l'accès à l'éducation et à d'autres types d'emplois, l'accès à des marchés pour les produits agricoles,… D'autre part, les visites de terrain me permettent de valider (ou pas!) les obser-vations réalisées sur les images satellites, et de collecter les informations nécessaires à la réalisation de cartes les plus précises possibles.

Mais les seules compétences de géographe ne sont pas suffisantes pour affronter une mission de terrain ! Car travailler sur le terrain, c'est aussi rencontrer des gens et découvrir une région. D'une manière générale, notre équipe de cher-cheurs (qui comprend également des épidémiologistes et des entomologistes) est bien accueillie, et dans certains villa-ges, il est rare de s'arrêter dans une maison sans recevoir un verre d'eau, voire une tasse de thé salé, comme c'est sou-vent le cas chez les Karen, une ethnie des montagnes du Nord… Et il faut toujours faire bonne figure, car en tant que "farang" (étrangers), nous sommes constamment jaugés par les gens et il est primordial de leur inspirer confiance, ce qui n'est pas toujours gagné d'avance, surtout quand on s'intéresse aux activités agricoles. Il m'est arrivé de m'arrêter à un endroit où des gens défrichaient pour créer un nouveau champs: le temps que nous descendions du pick-up, les gens avaient disparus! Ils s'étaient cachés, de crainte que nous soyons des personnes travaillant pour le département des fo-rêts! Il faut bien se rendre compte, cependant, qu'il serait peu probable de rencontrer un tel degré de coopération dans les pays occidentaux, d'ailleurs le travail est beaucoup plus ardu dans les zones urbaines, où les gens sont plus suspi-cieux. Les conditions de vie sur le terrain sont parfois un peu folkloriques… et il faut souvent partager sa couche avec divers insectes, rampants ou volants; heureusement qu'il y a les moustiquaires! Dans l'ensemble, c'est une expérience extraordinaire, et très enrichissante, et pas seulement sur le plan scientifique: sur le plan humain également. On dit que la géographie ça s'apprend par les pieds… c'est tout a fait vrai, mais rester assise sur des planchers en bambou m'a beaucoup appris aussi, et pas seulement à compter en thaï !

Pour ceux qui désirent en savoir plus sur le projet (et à qui l'anglais ne fait pas peur):


http://www.geo.ucl.ac.be/Recherche/Teledetection/Projects/Vanwambeke.htm ou sur la géographie a l'UCL (en français): http://www.geo.ucl.ac.be/UNITES/GEOG/