L'intervieweuse interviewée

Une vocation de toujours
Journaliste ? Christine Masuy ne se souvient pas avoir jamais voulu faire autre chose. Déjà, en sixième primaire, c'était son désir le plus cher. Pourtant, à la fin de ses humanités, ce n'est pas vers des études de journalisme que Christine s'oriente : c'est qu'il lui faut tenir compte du souhait de ses parents qui estiment que journaliste " n'est pas un métier sérieux ". La passion de la communication la pousse donc à entreprendre une licence en Philologie Romane. Cette formation initiale, Christine ne la regrette pas : elle lui a apporté rigueur et exigence intellectuelle. Mais dès qu'elle a ce premier diplôme en poche, elle complète sa formation par une licence en Communications (orientation Jour-nalisme) à l'UCL. Sortie en 1992, elle accepte alors un poste à mi-temps comme assistante à l'université, consacrant le reste de son temps à travailler comme journaliste free-lance. Au bout de sept ans, alors qu'elle a réussi à imposer sa plume dans la presse belge, elle décide d'abandonner son poste d'assistante pour se consacrer exclusivement à son travail de journaliste.
Son premier article, Christine s'en souvient encore comme si c'était hier : Blouses blanches blues, paru dans Femmes d'aujourd'hui (déjà !). En fait le choix de ce premier magazine n'était pas tout à fait innocent. C'est qu'en ce temps-là, le milieu journalistique de l'UCL était un tant soi peu ma-chiste et sérieux ! C'est donc un peu par défi vis-à-vis de ses collègues masculins que Christine s'est adressée à un journal féminin grand public : la rédaction lui a proposé le sujet, la machine était lan-cée. Très vite, elle collabore de manière régulière avec Femmes d'aujourd'hui et Notre Temps. Les premiers mois, les premières années, elle devait constamment aller " à la chasse aux contrats ", mais maintenant, on vient la chercher. Elle l'avoue : à l'heure actuelle le plus difficile est sans doute de refuser les propositions d'articles. Et c'est d'autant plus difficile de refuser de travailler… quand travail rime avec plaisir.
Une première consécration
Mais si le choix d'un magazine féminin pour faire paraître son premier article relève un peu du défi, même si son succès actuel lui vient d'un ouvrage consacré aux princesses, Christine Masuy ne se considère pas du tout comme féministe. Elle n'écrit d'ailleurs pas que pour la presse féminine, loin s'en faut ! En fait, ce qu'elle aime dans son métier de journaliste, et surtout dans son statut de free-lance, c'est de ne pas se spécialiser, mais au contraire de pouvoir aborder des sujets aussi variés que possible.
C'est ainsi qu'en 1996 elle publie un reportage consacré aux gardiennes de prison. Et c'est une pre-mière reconnaissance de son talent : ce reportage obtient le Prix du Journalisme du Crédit Commu-nal, qui est en Belgique le prix le plus important récompensant un journaliste de la presse écrite.
En 1999, l'année de ses 30 ans, elle décide alors d'abandonner son poste d'assistante à l'UCL : la charge de travail devenait trop lourde et même si rester à l'université aurait probablement été le choix de la raison, Christine opte pour le choix du cœur et, depuis, se consacre complètement à son métier de journaliste indépendante.
Quels sujets aborder ?
Etre journaliste indépendante ne signifie toutefois pas être seule maître de ses sujets. Un journaliste free-lance peut bien sûr toujours refuser les sujets qui lui sont proposés, mais dans la pratique, Christine travaille à peu près moitié sur commande, moitié sur idées personnelles. Et des sujets d'articles, elle n'en manque pas ! Ceux-ci sont variés, mais si vous lisez régulièrement ses articles, vous vous serez sans doute rendu compte que Christine a un faible pour les sujets de société : pas ceux qui impliquent les grands de ce monde, mais ceux que nous vivons toutes et tous, au jour le jour. Sa passion, c'est rencontrer et interviewer Mr et Mme Toutlemonde.
Toutefois, en lisant ces articles, on peut se poser la question de savoir quelle part d'exhibitionnisme il y a chez ces gens qui se livrent à cœur ouvert, et de voyeurisme chez nous, qui lisons leur témoi-gnages… La question n'étonne pas Christine : elle se l'est elle-même posée et se la pose encore. Mais sa meilleure réponse, c'est probablement cet article écrit il y a un peu plus d'un an sur la façon dont vivent les familles d'un grand malade. Pour écrire cet article, Christine a rencontré plusieurs personnes, qui entouraient qui un enfant en bas-âge, qui un époux, qui une mère âgée. Et ce qu'il y avait de saisissant dans ces rencontres, c'est que toutes ces personnes, qui ne se connaissaient pas, disaient les mêmes choses, insistaient sur les mêmes valeurs, relativisant ce travail qui nous tient tant à cœur, bref délivraient véritablement un message de vie, touchant de sincérité. Et les lectrices n'ont pas été insensibles - au contraire ! - à cette volonté de faire partager son expérience, de faire passer un message aux autres : On n'est pas seul dans le cas - D'autres s'en sortent - Cela peut m'aider ! Alors voyeurisme et exhibitionnisme ? Peut-être, mais n'est-ce pas aussi une réponse au besoin de communiquer qui nous ronge, engoncés que nous sommes dans l'individualisme forcené de notre société de consommation ?
Grands voyages
Quand on pense au métier de journaliste, on pense bien souvent aux grands reporters, à tous ces grands voyageurs, dont les reportages nous font rêver. Christine Masuy ne rêve-t-elle pas d'en faire partie ? Pas vraiment : pour ce faire, il faut soit être envoyé par un journal pour couvrir un événe-ment particulier, soit partir dans le cadre d'une mission ministérielle. Quant aux reportages touristi-ques, ils sont plutôt l'apanage de journalistes masculins, véritables baroudeurs qui, pour pouvoir vi-vre ainsi de leur plume, s'en vont six mois par année.
Ce qui ne veut pas dire que Christine n'aime pas voyager, au contraire ! Mais ses voyages sont occa-sionnels, même si elle prend plaisir à les relater au retour dans l'un ou l'autre article. C'est ainsi qu'elle a eu l'occasion ces dernières années de visiter l'Iran (son souvenir le plus extraordinaire : la découverte d'un pays merveilleux, mais aussi de la vie d'une femme voilée), Pékin et ses quartiers populaires, Venise et son carnaval, le Sénégal (où elle a découvert tout le cérémonial du thé), etc. Christine aime voyager, mais son problème c'est… de ne pas travailler. Car toute découverte suscite chez elle l'envie de la partager… et donc d'en faire un article ! Une véritable déformation profes-sionnelle ! Alors ne vous étonnez pas si vous vous trouvez en même temps qu'elle dans un agence de voyages, et que vous l'entendez demander… une destination où il n'y rien à faire, rien à voir. C'est ainsi qu'il y a deux ans, elle est partie, pour Gozo, petite île au large de Malte : il n'y avait que des tournesols et des criques…
Journaliste ou écrivaine ?
Mais revenons à notre point de départ : la parution de Princesses de Belgique. Le succès rencontré ne donne-t-il pas à son auteur l'envie de délaisser le journalisme pour - pourquoi pas - le roman ? La question ne l'étonne pas, et nombreux sont ceux à la lui avoir posée ces derniers temps. Mais ras-surez-vous : vous n'être pas près de voir disparaître la signature de Christine Masuy de votre quoti-dien ou de votre hebdomadaire favori ! C'est que notre Malonnoise n'est pas du tout d'accord avec ceux qui pensent qu'un livre vaut plus qu'un article. Et d'ajouter avec un sourire féroce qu'en 2000, il est paru 50.891 livres en langue française ! De quoi relativiser l'importance d'un ouvrage ! Elle ne s'identifie pas à ces journalistes (ce n'est heureusement pas la majorité !) qui se considèrent comme des écrivains frustrés… Quant aux articles dans la presse eux-mêmes, Christine ne leur accorde cer-tainement pas non plus une importance démesurée : après tout, un journal, après qu'on l'ait lu, sert essentiellement à emballer les épluchures de pommes de terre !
Quoi qu'il en soit, ne boudons pas notre plaisir : Princesses de Belgique - Laeken, les femmes de l'ombre est un ouvrage agréable à lire : ni un ouvrage savant et rebutant, ni un recueil d'articles à sensation, mais plutôt une bonne occasion de ne pas bronzer idiot cet été !

Michel Vause