Oh vert sapin

Un jour, l'un d'entre eux décide d'aller chasser. Soigneusement, il choisit son arc, ses flèches les plus agiles et se met en route. Longtemps, il cherche mais tout ce qu'il rencontre ne paraît pas valoir la peine et, ainsi, sans avoir rien trouvé, il arrive près d'un grand lac qui marque la limite de son pays.
C'est un très grand lac : jamais personne n'a réussi à franchir ses étendues liquides, ni l'oiseau qui vole, ni le poisson qui nage. Et, au delà de ce lac s'étend, dit-on, le pays des êtres d'éternité, ces êtres mystérieux que personne n'a jamais vu mais dont on sait seulement qu'ils ne meurent pas.
Notre homme a fort envie d'aller voir là-bas ce qui se passe. Alors, prenant une forte inspiration, bandant tous ses muscles, il s'élance, franchit les eaux et, miraculeusement, atterrit de l'autre côté.
A peine a-t-il pris pied sur cette terre inconnue qu'il se voit entouré d'une multitude de petits êtres bizarres qui parlent un langage qu'il ne comprend pas. Ils ne sont pas plus hauts que des asperges et ils montent des espèces de chevaux qui ressemblent à des lapins de chez nous, avec de grandes oreilles et des pattes arrières plus grandes que celles de devant.
Courageux, notre homme l'est mais, malgré tout, un peu décontenancé. Que va-t-il lui arriver ? Tous ces petits êtres n'ont pas l'air très heureux.
A un moment donné, l'un d'entre eux qui paraît leur chef lui adresse la parole : "Que viens-tu faire chez nous ?" "Je viens chasser" répond notre chasseur.
"Béni sois-tu reprend le petit homme. Car tu nous vois bien malheureux. Un monstre, une limelette, s'est installé chez nous et il dévore tout ce qui nous nourrit habituellement. Tous, nous avons très faim mais, comme nous sommes éternels, nous ne pouvons même pas mourir de faim".
Notre homme, en entendant ces paroles, sent se réveiller en lui son instinct de chasseur et, après avoir demandé où se cache le monstre, il promet d'aller l'affronter.
Sur les indications qui lui sont fournies, il se dirige vers les montagnes où la limelette a établi son repaire. Il a bandé son arc et ajusté sa meilleure flèche. Il ne lui faut pas longtemps pour découvrir la bête car celle-ci, alertée par une odeur inconnue, a sorti la tête hors de sa cachette.
Le chasseur l'aperçoit, vise, décoche sa flèche qui atteint l'animal dans l'oeil et lui perce la tête. Fier de son coup, il se hâte de ramener la bête à ses nouveaux amis pour les rassurer.
Ils sont heureux, les petits êtres d'éternité car ils vont pouvoir revivre et leur joie éclate en danses et en chants autour du vainqueur.
Le chef s'approche et lui dit : "Puisque tu as rendu ce grand service à notre peuple, nous voulons aussi te faire un cadeau à toi et à ton peuple. Retourne chez toi et annonce à tes frères que nous leur apporterons l'eau qui rend éternel".
Notre chasseur ne se sent plus de joie : l'éternité, le rêve probable de tout être ! En hâte, il retourne dans son pays et annonce la bonne nouvelle : ils vont cesser de mourir ; ils vont devenir éternels, vivre sans fin.
Quel rêve !
Vous imaginez bien la joie de tous ces gens. De suite, ils se préparent à faire la fête : les hommes se mettent à nettoyer les maisons (car dans ce pays "béni", c'est comme cela que ça se passait !) ; les femmes et les enfants se rendent dans la forêt ramasser du bois pour faire de grands feux de joie.
Mais voilà que tout à coup, ils aperçoivent une série de petits bonshommes montés sur des chevaux on ne peut plus bizarres. Ignorant à qui ils ont à faire, les femmes se mettent à rire et à se moquer de l'allure étrange de ces nouveaux venus. Les petits êtres - car c'étaient bien eux qui arrivaient - sont surpris et choqués de voir qu'on rit d'eux. En vain ils essaient de parlementer mais plus ils essaient, plus les rires et les moqueries fusent. Alors le chef s'adresse aux femmes et aux enfants : "Puisque vous nous recevez si mal, nous ne vous ferons pas le cadeau que nous vous destinions". Et en même temps, il donne à ses compagnons l'ordre de vider l'eau qui rend éternel aux pieds des arbres qui sont là. Puis, dignement, ils s'éloignent.
C'est depuis lors que certains arbres gardent leur couverture toute l'année malgré l'hiver. Et c'est pour cela que vous avez, aujourd'hui, devant vous, un sapin tout vert alors que tous les autres arbres perdent leurs feuilles.
Tout penauds, les femmes et les enfants sont rentrés chez eux annoncer la triste nouvelle. Depuis lors, bien des chasseurs ont essayé de retrouver le chemin du pays des êtres éternels mais personne ne l'a jamais retrouvé.
Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Allez donc savoir.