Dans l'ouvrage "La famille aux frontières du lien",
le philosophe Jean-Michel Longneaux propose une approche étonnante
et intéressante : La famille, explique-t-il, est faite pour être
quittée.
D'après les sondages, la famille a le vent en poupe: pour 90% des
personnes interrogées, la famille est la valeur première,
d'autant plus que nous vivons dans un "univers impitoyable".
La société hyper-compétitive provoque un désir
de se réfugier à l'abri, dans un cocon où l'on se
sent bien, un "chez soi" où l'on peut déposer
ses valises. D'autre part, la structure familiale traditionnelle n'est
plus forcément perceptible partout. C'est le cas notamment lorsque
les parents divorcent, ou que le lien familial est distendu à cause,
par exemple, des activités profession-nelles intenses des parents.
D'un côté, la famille est sur-investie (on en attend tout)
et de l'autre, chacun vit sa vie en dehors d'elle: la famille est désinvestie,
parce qu'elle ne peut tout apporter.
- Quel rôle la famille a-t-elle à jouer dans l'éducation
des enfants?
- Les familles pensent qu'elles doivent être un cocon dans lequel
chacun doit se sentir bien. Les parents ont du mal à se situer
comme parents, en posant des interdits, par exemple. Au nom du lien à
maintenir, ils risquent de ne plus donner aucun repère. Ou bien,
certaines familles ont du mal à lâcher leurs enfants. Or,
la famille est faite pour être quittée et toute l'éducation
doit être pensée en ce sens. L'autre ne m'appartient pas.
Quand cette idée est intégrée, l'enfant peut vivre.
Donc, chaque éducateur doit se poser la question de savoir comment
appliquer cette idée de non-possession de l'autre.
- Les nouvelles formes de liens familiaux rendent-elles cette démarche
plus difficile?
- Plutôt que d'essayer de rechercher le "bon" modèle
familial, à supposer qu'il ait jamais existé, je pense qu'il
vaut sans doute mieux réfléchir à partir des familles
telles qu'elles existent réellement. De façon générale,
cha-cun est tenté de vivre une relation sur le mode fusionnel.
Déjà, dans le meilleur des cas, le désir d'avoir
un enfant n'est jamais "pur": on voudrait qu'il contribue à
l'épanouissement du couple, par exemple. Là où cela
devient étouffant et dangereux, c'est lorsque l'enfant est conçu
pour sauver un couple. Dans les familles monoparentales, le risque est
peut-être plus grand de surinvestir dans la relation avec l'enfant,
car il peut être vu comme un re-mède à la solitude.
Il y a un risque de réduire l'enfant au rêve que l'on a sur
lui. Et forcément, l'enfant tel qu'il est n'est jamais l'enfant
rêvé.
- La famille n'est pas l'avenir de l'homme, mais son passé, dites-vous.
Qu'est-ce que cela signifie?
- Au début de sa vie, l'enfant a besoin d'être repris dans
le désir de ses parents. Cette tendance à fusionner dans
un premier temps est normale, positive et même salutaire, parce
que l'enfant n'est pas un sujet autonome. Mais à un moment, l'enfant
doit percevoir que l'autre n'est pas le prolongement de lui. Dans cet
apprentissage, les pa-rents ont un rôle, celui d'être eux-mêmes,
à leur juste place. La famille sert... à être quittée
un jour! Elle n'est donc pas l'avenir de l'homme, mais son passé!
S'engager à fonder une famille, ce n'est pas se donner un avenir
à soi-même, c'est plutôt engager son avenir à
soi pour donner à ses enfants un avenir.
La famille aux frontières du lien
Editions Feuilles Familiales.
Rue du Fond de Malonne, 148
5020 Malonne
Tél.: 081 / 45.02.99
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