M.P.: D'où vous est venue l'idée de construire une éolienne?
D.W.: J'ai toujours été intéressé par le problème
de l'énergie. Je me souviens qu'en 6e année primaire, j'avais
dû rédiger un petit travail sur le pétrole. J'ai remué
ciel et terre pour réunir de la documentation; j'ai découvert
des choses fort intéressantes, généralement au-dessus
de la casquette d'un enfant de 12 ans et, notamment, que cette source
d'énergie avait des limites et que, déjà à
cette époque, on parlait d'une durée probable de 70 ans.
M.P.: À côté de cet intérêt, quels
atouts aviez-vous pour vous lancer dans cette aventure?
D.W.: Ma première formation est celle d'un ajusteur - soudeur.
Métier qui me plaisait mais la perspective de passer des années
à tourner les mêmes pièces m'a poussé à
chercher autre chose.
J'ai donc commencé, en cours du soir, une formation de mécanicien
automobile, suivie d'une formation d'élec-tricien. Mais mon naturel
insatisfait m'a encore conduit à faire un graduat en radio-télé
et d'y découvrir les données de base de ce monde super-spécialisé.
Je suis aussi d'une nature curieuse. J'aime me donner des défis
et aller jusqu'au bout de ce que j'entreprends. Il y a quelques années,
par exemple, j'ai construit un orgue de Barbarie alors que je ne connaissais
rien en la ma-tière.
J'ai aussi beaucoup appris sur le tas. La construction du mât ainsi
que la fixation des différentes pièces m'ont amené
à pratiquer la soudure et l'usinage, deux activités pourtant
assez pointues.
M.P.: Quelle a été la genèse de cette éolienne?
D.W.: Au départ, je n'y connaissais rien. Mais j'ai beaucoup voyagé,
rencontré des dizaines de personnes qui s'étaient laissé
tenter par cette aventure. Et les réalisations sont très
diverses: j'en ai vu des dizaines, en Hol-lande, en France
etc.
J'ai pris contact avec une association "Les compagnons d'Éole"
qui milite depuis 20 ans pour tirer du "vent" une énergie
nouvelle, propre et
inépuisable. Je fais aussi partie d'un
groupe parallèle "À tous vents" et qui est davantage
centré sur la construction d'éoliennes.
Et l'idée a mûri tout doucement. J'ai réalisé
qu'il y avait des problèmes de tous ordres: technique, acquisition
du matériel et des outils, établissement des plans, demandes
d'autorisations
etc. Il y a 10 ans que le projet mi-jote et que
j'acquiers progressivement les éléments professionnels nécessaires.
M.P.: Quid du matériel?
D.W.: J'ai un véritable talent de récupérateur. Là
où on "jette", je fourre mon nez et je découvre
des choses qui m'intéressent, pas nécessairement pour l'immédiat
mais pour
des projets futurs. Et je vous assure qu'il y a de quoi
être satisfait quand on y prête un peu d'attention et
de ténacité.
Le poteau de 10 m, par exemple, qui soutient la nacelle (le moteur, le
régulateur, le rotor) provient d'un chan-tier de ferrailleur. Il
pèse une tonne. Je l'ai d'abord fait découper sur place,
ramené par morceaux et rétabli chez moi dans son état
actuel. Ma main d'uvre mise à part, il me revient à
plus ou moins 5000 F; je n'ose pas pen-ser à ce qu'il m'aurait
fallu dépenser si j'avais dû l'acheter tout fait.
M.P.: A quel budget pensez-vous que cela vous revient?
D.W.: C'est difficile à établir parce qu'il y a tous les
à-côtés qui ne font pas partie de l'éolienne
mais qui m'ont servi à la construire. J'ai dû, par exemple,
faire l'achat d'un tracteur, d'un tour, d'un treuil et
de tant
d'autres choses.
Il faut également considérer que des outils qui ne me serviront
peut-être plus pourront être revendus à un prix meilleur
que le prix d'achat, vu que je les ai améliorés.
Au départ, je comptais sur une somme de 60000F mais je suis loin
du compte et je pense tourner autour de 200000F. Neuve, l'éolienne
me coûterait plus d'un million.
M.P.: Qu'en pense le voisinage?
D.W.: Nous en avons d'abord beaucoup parlé. Leur souci principal,
me semble-t-il, était la possibilité du bruit. Et j'ai été
très sensible à cet aspect. J'avais, dans un premier temps,
par exemple, fabriqué des ailes en bois que j'ai remplacées
par la suite par des pales en résine de polyester moins performantes,
assurément, mais moins bruyantes.
J'ai aussi calculé mon implantation pour que la vue de mes voisins
ne soit pas gênée. Et j'ai le souci que cette éolienne
soit belle, élégante même. Et si je compare avec d'autres
réalisations, j'estime y être arrivé.
M.P.: Pour réaliser ce travail, il vous a fallu, assurément,
une formation technique importante mais, quand je vous en entends parler,
je découvre en vous un petit arrière fond de poète.
C'est pourquoi je m'enquiers avec précaution de la rentabilité
de votre réalisation.
D.W.: Je n'ai guère de certitudes à ce propos. L'éolienne
n'est pas terminée. Il me reste à achever la gestion électrique:
orientation par rapport aux vents; adaptation des vitesses à des
vents de forces diverses; mise en croix des pales en cas de vents très
violents; inclinaison des pales, etc.
J'espère, dans un premier temps, couvrir 50% de ma consommation
et arriver progressivement aux 100% mais je reste prudent.
Par contre, comme vous le dites, le résultat n'est pas uniquement
matériel. Cette éolienne fait partie de ma vie: elle m'a
permis de beaucoup apprendre, de rencontrer beaucoup de personnes et de
m'être senti bien, compris et reçu. C'est aussi un projet
familial: j'ai été fort soutenu par mon épouse qui,
malgré sa crainte de provoquer du déplaisir aux voisins,
m'a toujours encouragé et a attiré mon attention sur le
côté esthétique et le plus silencieux possible de
cette réalisation.
Et puis
! Le mazout sera épuisé dans 30 ans; ne parlons
plus du charbon qui fait déjà partie du passé; les
piles à combustible demanderont, pour leur construction, une énergie
qui fera défaut; quant à l'énergie nucléaire,
on sait ce que cela promet comme pollution que l'on cherche à éviter.
Alors, mon éolienne sera peut-être une réponse à
ce problème d'énergie. Et, au fond, je ne fais que continuer
ce qu'avaient réalisé les constructeurs de moulins à
vent.
Les Anciens qui, sous des formes différentes, en connaissaient
peut-être autant que nous sur les forces qui gou-vernent le monde,
avaient beaucoup de respect pour le père de Sisyphe. Ses colères
étaient terribles et j'en con-nais un qui, pour n'avoir pas été
assez prudent, a navigué en tournoyant pendant dix ans avant de
rentrer chez lui. C'est avec considération qu'ils l'invoquaient
et cherchaient à l'apaiser.
N'est-ce pas de se sentir ignoré qui provoquait ses colères?
Alors, peut-être que cette main tendue par les hommes - et un homme
de chez nous - va nous le rendre à ja-mais favorable.
Texte: J. Lorand
Photos: R. Legrain
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