M.P.:
Parlez-nous un peu de vos origines lointaines
Abbé S.I.: Je suis né à KAMBANZAMBI, région
du KASAÏ occidental, au Congo - Kinshasa. C'est une région minière,
riche en diamant, mais l'exploitation demeure encore au niveau artisanal.
Il y a aussi de l'agriculture et de l'élevage.
M.P.: Et votre famille?
S.I.: Je suis le 2e d'une famille de 6 enfants, dans laquelle j'ai vécu
une enfance heureuse. Ma mère s'occupait de notre foyer et mon
père a travaillé dans une société de plantation
de palmiers, puis il a été instituteur.
M.P.: D'où vient votre vocation sacerdotale?
S.I.: Après l'école primaire au village, j'ai été
envoyé au Petit Séminaire pour les humanités; c'est
là que j'ai découvert ma voie. Ensuite j'ai étudié
la Philosophie au Grand Séminaire de MAYIDI et la Théologie
au Grand Séminaire Jean XXIII à KINSHASA.
M.P.: Comment avez-vous débarqué à Malonne?
S.I.: Après mon ordination sacerdotale, j'ai enseigné la
religion, la philosophie, les mathématiques et la physique au degré
supérieur du Petit Séminaire de mon diocèse pendant
8 ans.
Ensuite l'évêque m'a envoyé en Belgique pour y poursuivre
une formation universitaire et j'ai été pris en charge par
l'évêché de Namur. Mgr R. Mathen et Mgr J.B. Musty
m'ont affecté à la paroisse de Malonne, afin d'y exercer
un ministère pastoral, tout en continuant mes études.
J'y ai été très bien accueilli, d'abord par notre
curé Georges Lamotte, ainsi que par les paroissiens.
Parmi ceux-ci, il y avait Mme VERMEERSCH, qui par après m'a offert
l'hébergement. Elle est décédée en 1998 à
l'âge de 93 ans.
Maman Yvonne, comme je l'appelais familièrement, avait toujours
espéré que je termine avec succès mes études
universitaires: son souhait s'est réalisé. Ce travail est
le fruit de tous les services qu'elle m'a rendus: je lui exprime ma gratitude
et ma reconnaissance pour tout le bien qu'elle m'a fait.
M.P.: Avez-vous des projets d'avenir?
S.I.: Je suis prêtre, essentiellement au service de l'Église.
Mon projet n'est rien d'autre que de servir partout où le Seigneur
m'appellera
Malonne Première remercie l'abbé Sylvain pour cet entretien.
A notre demande, celui-ci nous a remis un bref résumé de
sa thèse, qui porte sur "La durée dans la morale de
BERGSON, philosophe français du début du XXe siècle".
LA DUREE DANS LA MORALE DE BERGSON
Bergson a fait remarquer à Harald Höffding: "A mon avis,
tout résumé de mes vues les déformera dans leur ensemble
et les exposera, par là même, à une foule d'objections,
s'il ne se place pas de prime à bord et s'il ne revient pas sans
cesse à ce que je considère comme le centre même de
la doctrine: l'intuition de la durée"(Mélanges, p.1148).
Aidé par cette remarque de Bergson, nous nous sommes intéressés
à sa morale. Nous avons voulu savoir quel rôle la durée
pourrait y jouer. Tel est le propos de notre thèse.
Pour répondre à cette question, il nous a semblé
nécessaire de prendre en compte non seulement des études
sur l'histoire toujours vivante des recherches bergsoniennes, mais aussi
du débat contemporain, en particulier dans le cadre de la science
physique, de la neurologie et des sciences cognitives, qui nous semblent
incontournables aujourd'hui. La critique qui est proposée surtout
dans le cadre de l'approche bergsonienne du cerveau a pour conséquence
d'isoler le traitement du cerveau dans une philosophie de Bergson. Cette
lecture, en effet, ne tient pas compte, selon nous, de l'intégration
de cette approche du cerveau dans une philosophie de l'esprit. Elle impose
donc à Bergson sa propre culture de l'esprit. Elle rend dès
lors impossible le repérage d'une "émergence"
de la question morale au sein de cette philosophie de l'esprit. La même
remarque vaut aussi pour la science physique. Pour analyser cet aspect
de la pensée de Bergson, il faut renouer, au-delà des réductions
neuroscientifiques, cognitives et physicalistes, avec les enjeux d'une
philosophie de l'esprit, et déterminer la position particulière
de Bergson qui conduit à l'inscription de la durée dans
la vie de l'esprit plutôt qu'à la naturalisation de la vie
de l'esprit par son inscription dans la durée. En d'autres termes,
le lien entre la philosophie de l'esprit et la destinée morale
chez Bergson peut s'effectuer, nous semble-t-il, grâce à
une mise en lumière de la fonction de la durée dans l'intelligence
humaine et dans son rapport à la morale. Telle est l'hypothèse
de notre travail.
Pour vérifier cette hypothèse, nous avons organisé
notre travail en trois parties. Dans la première, nous avons confronté
l'hypothèse aux débats avec les sciences. Une certaine fixation
réductionniste de la problématique en physique et en neuroscience
a été battue en brèche au sujet de différentes
interprétations de la durée. Cela s'est vérifié
au niveau de la physique, en mécanique quantique, en relativité
restreinte et générale ou en thermodynamique. Cela s'est
vérifié aussi au niveau des neurosciences, en psychophysiologie,
en imagerie cérébrale ou neuropathologie. Toutes ces interprétations
ne se stabilisent pas de façon purement disciplinaire, mais seulement
au regard d'une approche réflexive et intuitive visant l'approfondissement
de la problématique du temps et de la durée.
Dans la deuxième partie, nous avons confronté l'hypothèse
aux différents modes de légitimation philosophique des interprétations
de la durée. Nous avons vu comment, à travers les thèmes
de l'évolution, de l'éternité et de la mémoire,
une conception réelle de la durée permet de dépasser
sa fixation dans une conception liée à la mécanique.
Cette dernière réduit la problématique de la durée
à celle, quantitative, du mouvement (chap.3). L'enjeu de ce dépassement
n'est pas de remplacer une conception mécaniste par une autre,
plus intuitive, et donc d'aboutir à une nouvelle fixation. L'enjeu
est de pointer vers un saut qualitatif opéré par l'inscription
de la durée dans l'esprit. C'est à travers les concepts
d'intuition et de création que Bergson a tenté de rendre
compte de ce saut qualitatif. Une autre conception du temps émerge
ainsi progressivement dans ce débat, entendue comme créatrice
de formes de vie nouvelles (chap.4).
Sur base de cette traversée des débats scientifiques et
philosophiques, nous avons tenté de vérifier notre hypothèse
ainsi affinée à travers la problématique de la morale
de Bergson (IIIe partie). Il nous a fallu tout d'abord, en une première
étape, suivre Bergson dans l'évaluation critique de l'incomplétude
des doctrines morales: l'hédonisme, l'eudémonisme ou les
doctrines formalistes kantiennes. Ces différents modes de fixation
doctrinaux restent incomplets tant qu'ils ne renvoient pas à l'effort
à déployer dans la durée, pour que la raison morale
puisse se donner une visée concrète (chap.5). Ensuite, en
une deuxième étape, nous avons vu que cet effort s'exprime
déjà au niveau individuel et social, mais ce n'est que par
le rôle constitutif joué par la durée dans la morale
humanisante que cet effort permet d'orienter l'évolution des stades
moraux des sociétés vers la création de formes de
vie ouvertes et nouvelles (chap.6). Finalement cette "morale de la
durée" renvoie cet effort à la vie intersubjective
telle qu'on a pu le montrer à travers une illustration particulière
de cette morale dans le rapport intrinsèque qui apparaît
entre une morale de la création et l'intersubjectivité.
Abbé Sylvain Ikatenia
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