Une malonnoise
au Burundi
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Chers
Malonnois, Quelles sont les nouvelles dans notre petit village ? Les vacances se terminent pour beaucoup... De mon côté, pas de vacances dans le planning proche, mais beaucoup de travail dans un beau pays, mon pays aux milles collines... tou-jours aussi beau, du point de vue paysages et rencontres, malheureusement toujours aussi triste au niveau de son histoire, de son vécu, de ses souffrances qui ne cessent encore et toujours et pour lesquelles il semble qu'on ne trou-vera jamais de solutions... La guerre est là partout, elle se cache dans ces collines qui paraissent pourtant si paisi-bles... on voudrait l'oublier mais à chaque fois que son image semble disparaître de notre esprit, elle revient à chaque fois nous rappeler qu'elle ne s'en ira pas si facilement... Nous, on ne la vit jamais aussi directement et intensément que ceux qui se trouvent sur son passage, mais pourtant son chant mélancolique n'échappe pas à nos oreilles et les cicatrices qu'elle laisse aux gens qui ont le malheur de la rencontrer nous glace toujours autant le dos ... Et puis, comme si toute cette douleur n'était pas suffisante, il y a les maladies qui s'en mêlent... paludisme, infections respiratoires, tuberculose, sida... les virus et bactéries sont de plus en plus forts... malheureusement, les médicaments eux sont de moins en moins efficaces et de plus en plus chers !!! Et surtout cette histoire de tarification (système de recouvrement des coûts que veut mettre en place le gouvernement dans toutes les structures de santé... système dé-bile dans un pays où les gens sont si pauvres) et qui ne va faire qu'empirer la situation... comment les gens pourront-ils payer des médicaments avec l'argent qu'ils n'ont pas ? Réponse : ils ne pourront pas... ils tenteront de plus en plus de trouver une solution auprès de leur guérisseur traditionnel... qui, à forte chance, ne fera qu'empirer leur situation... pas facile la vie de burundais... et nous, on se sent si impuissant... Alors, on agit à petite échelle, on se bat pour que les soins restent gratuits dans nos centres, on soigne au mieux tous les malades qui viennent à nous et on fait de la prévention pour éviter que d'autres ne viennent (vaccin, consultation pré-natale,..). Dans notre centre de Karinzi (là où je suis basée en semaine avec Peter, mon ami avec qui je suis partie en mission et qui est basé au même endroit que moi), les soins sont encore gratuits (ou presque... ils payent juste un forfait de 50 Fbu - équivalent à 10 cents - ce qui est encore cher pour certains! Dans les autres où on travaille aussi c'est encore gratuit, mais durant ce mois, ça va devenir payant. On s'attend donc à ce que ces centres ne soient plus fréquentés et que les malades restent chez eux... ou peut-être marcheront-ils des heures durant pour venir jusque chez nous ? ... On l'espère... Du moins, si notre centre reste avec ce système de forfait et ne passe pas sous "tarification"... Sinon, ça sera l'horreur pour eux... et le fossé entre les pauvres et le riche s'enfoncera encore plus bas que jamais... Mais faut que je parle de choses plus gaies, alors... parlons un peu de notre environnement plus "matériel"... En se-maine, je travaille, avec Peter, sur Karinzi. Là, nous vivons à deux dans une petite maison fraîchement rénovée (en fait, toujours en rénovation). Notre chambre sent encore la peinture (j'avoue même que j'avais du mal à respirer la première nuit !). Le reste est "en cours"... Ils ont quand même daigné nous installer de vraies toilettes à l'intérieur, dans une petite pièce qui sert de salle de douche en même temps. Faut juste faire attention quand on tire la chasse --> les joints sont mal fixés et donc parfois on se reçoit un jet d'eau presque en pleine face... c'est comique... On a quand même hâte d'installer un vrai lit, ainsi qu'une moustiquaire... oh pas tant pour les moustiques, mais plutôt pour tous les autres insectes, style araignées, cafards et autres qui se sont baladés sur nous la première nuit (brrr... j'en ai encore des frissons rien que de vous le raconter...). Et puis, on attend aussi avec impatience un frigo et une cuisinière... Bref, c'est un vrai emménagement... ça fait un peu camping en attendant, mais c'est sympa... Et puis point de vue de la "vue", on ne peut vraiment se plaindre, la vue est extraordinaire... perchés sur le haut de la colline, on a vue sur tout le village, mais surtout sur toutes les collines avoisinantes et c'est simplement MA-GNI-FIQUE !! Le WE, c'est tout autre... 2 fois sur 3, on est à Ijenda et le 3ème WE, on descend à Buja. Là, on y a à chaque fois des maisons superbes, avec tout le "luxe" nécessaire. Pas de souci avec les insectes, la nourriture, l'humidité... c'est super pour se relaxer... Et puis ici aussi, la vue est imprenable du haut de notre colline Quant à Buja, on a vue sur le lac et ses hippopotames, alors... sympa, aussi... Au niveau du travail, on s'est réparti les tâches avec Peter. Il s'occupe de tout ce qui est hospitalisation, labo, salle de pansement/petite chirurgie et de la pharmacie. Et moi, je m'occupe des consultations curatives, de la vaccination, des consultations pré-natales et de la maternité. Laurence, notre responsable terrain, qui est médecin, vient nous rendre visite 1 ou 2 fois par semaine. Cela nous aide bien car nous avons toujours beaucoup de questions à lui poser... Et oui, pas toujours facile de savoir quoi faire avec tout ce qui nous tombe dessus... Hier, je suis allée à la maternité d'Ijenda. C'est un hôpital tenu par des surs. J'avais demandé à Sur Adèle d'assister à quelques accouchements pour me "faire un peu la main". Je m'y connais en bébés mais seulement une fois qu'ils sont sortis du ventre. Quand ils sont encore dedans ou bloqués au passage, ça dépasse mes connaissances... et bien, j'ai eu l'occasion d'apprendre énormément de choses et de bien mettre en pratique le livre que je viens de lire sur ce thème ! Cinq femmes à terme sont venues nous consulter dont une qui a accouché. !! Attention, curs sensibles, sauter le paragraphe qui suit... La pauvre, le petit n'est pas venu sans peine... elle était déjà en travail quand elle est arrivée à l'hôpital, poche des eaux rompues depuis 2-3 heures, contractions... mais le bébé ne daignait pas nous mon-trer le bout de son nez... Craignant alors pour sa survie, les 2 infirmières sont montées sur la table pour pousser sur le ventre de maman et forcer bébé à sortir... mais le pauvre était bloqué et en plus en bien mauvaise position (de face). On ne voyait que sa bouche, déjà tout oedemaciée. C'est alors que la Sur est arrivée avec sa grande pince (forceps), a coincé la tête du pauvre petit et a tiré de toutes ses forces pendant que les deux autres poussaient sur le ventre. Moi, j'étais censée tenir les jambes de maman pour qu'elles restent bien écartées. Mon Dieu que la pauvre a eu mal... ses mains n'ayant trouvé que mon ventre pour s'agripper m'ont fait ressentir la douleur qu'on lui infligeait... 1 minute après... ouf... bébé est sorti... mais flasque et sans cri... a alors suivi leur technique de réanimation (pour le moins brutale) : et que je te tape par-ci, puis par-là, aspirations ++, on "pince" le thorax pour le massage cardiaque et on lui souffle de toutes ses forces dans les poumons pour lui insuffler de l'air (mon Dieu, j'ai cru que ses poumons allaient éclater !), quelques injections dans le cordon et puis là... ouf... on entend son premier cri timide... il est sauvé... Tout le monde s'essuie le front... elles parce qu'elles y ont mis toutes leurs forces... et moi, parce que j'ai eu des frayeurs pour le petit... et aussi "en post choc" de ce à quoi je venais d'assister... Après, elles se sont remises à soigner maman : on fait sortir le placenta, voir qu'il est intact et puis surtout quelques points de suture pour recoudre la belle déchi-rure... Ca ne vous donne pas envie de venir accoucher en Afrique, tout ça ?! Allez, elles m'ont rassurées et je vous rassure en même temps : c'est pas toujours comme ça !! Des situations pareilles, aussi folles, on en vit presque tous les jours... Autant dire que ça nous change du travail à l'hôpital en Europe... Le lendemain, nous effectuons un embarquement de toute la commande de médicaments et tous nos brols pour la maison. La voiture est pleine à ras bord, reste une mini place pour des vaccins qu'on doit aller chercher près du chef de secteur. Pour le moment, le gouvernement burundais organise une grande campagne de vaccination (rougeole et polio) dans plusieurs provinces. Seulement, on peut le dire... ils manquent sacrément d'organisation et MSF doit aider beaucoup plus que prévu pour pouvoir assurer un minimum d'organisation et éviter le fiasco... Aujourd'hui, ils n'avaient plus de vaccins polio dans tout le pays alors que la campagne doit encore durer une semaine! Au fait, ils en auraient encore si ils n'avaient pas des chaînes de froid si m....iques ... ça leur aurait évité de perdre des milliers de doses qui ont du être jetées. Quoique quand je dis "jetées"... à part toutes celles jetées par MSF, je parie fort que les autres ont été utilisées malgré tout. A mon avis, selon eux, mieux vaut vacciner (même sans effet) que de ne pas vacciner du tout! Pour finir, on en a encore eu quelques-uns, les derniers qui restaient par-là et nous sommes partis sur Karinzi. Une heure et demi de piste après, nous voici au centre. Les vaccins étaient à peine déchargés et déjà on nous appelle à l'hôpital... un enfant d'un an et demi souffre d'anémie sévère. Il avait fait un paludisme grave, et ces sales parasites ont bien foutu en l'air ses globules rouges. Le pauvre était vraiment mal arrangé, presque plus conscient et en dé-tresse respiratoire. On a donc tout de suite contacté Buja pour organiser le transfert vers un hôpital où il pourra être transfusé. 30 min après, on était en route. Quelle horreur cette piste... pleine de trous... de pierres... de bosses... dans la voiture, c'est atroce et encore pire pour les transférés qui sont généralement plus malades encore à l'arrivée qu'au départ. Un peu moins de 2 hrs après, on y est... l'enfant est toujours vivant, on est déjà content... on le confie aux autres infirmières, puis déjà temps de partir. L'heure limite pour remonter sur le terrain: 15h ... après, plus moyen... et pas assez sûr... 15h10, on est sur la route. On stresse un peu en route car on se perd plusieurs fois, faisant chaque fois demi-tour, on rencontre déjà les militaires sur le chemin qui se préparent à prendre leur garde. Mais tout se passe bien, on est encore fort secoué, mais on arrive sans aucun ennui à Karinzi. Il est presque 17h, on a une réunion avec tout le staff dans un quart d'heure. On retourne donc au centre. On y reste à peine quelques minutes et déjà, nouveau problème médical : une future maman qui est à terme et déjà en travail, a des signes de menace de rupture utérine. Mais il est trop tard pour transférer et pas d'autres voitures disponibles pour aller jusque Buja. Le hic, c'est qu'ici, avec les moyens disponibles, on ne peut RIEN faire ! Ca veut dire qu'on peut seulement prier pour que la jeune femme (21 ans, 1ère grossesse) tienne le coup la nuit pour qu'on puisse la transfé-rer demain matin. Si elle accouche, elle risque une rupture d'utérus et le risque c'est de perdre le bébé, mais elle aussi par la même occasion. Ca me fait trop mal de la voir souffrir ainsi, pourvu qu'elle tienne le coup... pff quel métier... Si vous souhaitez m'envoyer un petit bonjour, n'hésitez pas à
le faire à l'adresse e-mail suivante : Médecins Sans Frontières- Suisse Ca paraît bizarre comme adresse, mais je vous jure que ça
fonctionne... et bien, en plus... |