Michel Fréquin nous parle de la FRAISE DE MALONNE.
Pauvre en calories, la fraise bien mûre peut se manger sans sucre.
Pour nous parler de la Fraise de Malonne, qui pouvait mieux nous mettre l'eau à la bouche qu'un passionné, issu d'une vieille famille malonnoise depuis six générations, et producteur-fraisiériste depuis 40 ans.
Chaque année, dès la première récolte, Michel Fréquin et son épouse Jeanine dressent une échoppe devant leur maison de l'avenue de la Vecquée, un peu plus bas que la Chapelle du Gros-Buisson.

Le millésime 2002 a été précoce, puisque les premières fraises ont été cueillies dans les serres à la fin du mois d'avril, c.à.d 10 à 15 jours plus tôt que la moyenne.


M.P.: Ton métier vient-il d'une tradition familiale?
M. Fréquin: Oui, mes grands-parents, puis ma mère produisaient déjà des fraises, de même que les parents de mon épouse, à Bois-de-Villers. Dans les années 50, nous allions tous les jours en soirée au marché aux fruits de la place du Malpas. On s'y rendait avec une charrette lourdement chargée tirée par un cheval, par deux ânes, un motoculteur, ou bien plus souvent avec les bras…
Chaque producteur avait son emplacement numéroté. Le garde-champêtre Arthur Borremans percevait la taxe communale, et sonnait la cloche à 19 heures… le marché pouvait commencer!
Les marchands examinaient les fruits, on discutait du prix… Une heure plus tard, tout était vendu et la place du Malpas retrouvait sa quiétude…
L'hiver, avec le grand-père et mes frères, on fabriquait des caissettes en bois…
Il y avait aussi des marchés aux fruits à Wépion, Bois-de-Villers et Lustin. Celui de Malonne rassemblait 160 producteurs. La Fraise de Malonne était aussi réputée que celle de Wépion et nos caissettes arboraient fièrement la banderolle "Fraiseraies du Landoir-Malonne".

M.P.: Raconte-nous tes débuts…
M. Fréquin: J'ai commencé dans les années 60, à l'époque où les marchés aux fruits ont été supprimés, et où la criée de Wépion a ouvert ses activités.
Tout au long de l'avenue de la Vecquée, depuis le Cabacca jusqu'à Insepré, nous étions une dizaine de producteurs à proposer nos fraises directement au consommateur, en bordure de route…
J'ai eu assez rapidement une clientèle fidèle: c'est très gratifiant d'avoir d'excellents contacts avec les clients, parfois très éloignés, qui nous respectent pour notre savoir-faire, et pour la qualité de nos fraises naturelles… Hormis un traitement insecticide et fongicide à la plantation, je ne pulvérise jamais… on peut manger mes fraises sans les laver!
A un certain moment, mes cultures s'étendaient sur un hectare. Actuellement, j'ai 50 ares, dont le tiers de la production est cultivée dans 8 grandes serres en bâche plastique de 50m de long. Le reste est sous petits tunnels ou en pleine terre. En tout, cela représente 25000 plants.

M.P.: As-tu déjà exercé une autre activité?
M. Fréquin: Oui, j'avais repris la ferme familiale, mais j'ai arrêté en 1993 pour pouvoir me consacrer exclusivement à la culture des fraises.

TABLEAU DES VARIETES
Variétés de fraises cultivées chez M. Fréquin
N.B. Ces nombreuses variétés permettent un échelonnement de la production; sucrées et parfumées, elles sont aussi choisies selon les goûts des clients, même si certaines ont un moindre rendement.
Par ordre de maturité
1. Serre ou petits tunnels plastiques
- Gariguette: très hâtive, calibre moyen, allongée, très sucrée
- Lambada: rouge clair, arrondie, parfumée
- Favette: hâtive, d'origine française
- Mamie: couleur orangée, résiste à la chaleur, très bon goût
- Elsanta: grosse fraise sucrée, bon rapport et bonne conservation
- Florence: mi-hâtive, foncée, rendement moyen, sucrée
2. Pleine terre
- Hapil: gros calibre et bon rendement, bon goût
- Berluda: grosse fraise foncée, très sucrée
- Bavo: ancienne variété, tardive, très parfumée
- Souvenir de Charles: ancienne variété très appréciée; foncée et très sucrée
- Bogota: très tardive, gros calibre et bon rendement, parfumée
- Vicoda: tardive, arrondie
3. Remontants (ou des 4 saisons)
- Mara des bois, calibre moyen, goût excellent de fraise des bois
- Selva, d'origine américaine, tardive


M.P.: Engages-tu du personnel en saison?
M. Fréquin: Mon épouse et moi avons la chance d'avoir toujours travaillé ensemble. Pendant la récolte, nous sommes aidés par une de nos filles, Anne-Marie, ainsi que par 2 cueilleuses malonnoises, expertes dans l'art de cueillir délicatement et arranger les raviers sans abîmer les fraises.

M.P.: Un de tes enfants continuera-t-il la culture?
M. Fréquin: Je ne pense pas… mes deux filles et leur mari ont choisi une autre voie professionnelle qui leur plaît…

M.P.: Pour quelles raisons les fraiseraies disparaissent-elles à Malonne?
M. Fréquin: C'est un métier manuel et pénible… toujours le dos courbé, par tous les temps. La vente de notre récolte c'est le fruit du labeur de toute une année dans les champs… En saison, on cueille et on vend le samedi et le dimanche… Je n'ai jamais pis de vacances… C'est un métier qui n'intéresse plus les jeunes. On trouve difficilement des cueilleurs saisonniers; dans les grosses exploitations, ils doivent faire venir de la main d'œuvre étrangère… Auparavant, beaucoup d'épouses n'avaient pas d'activité professionnelle; une petite culture de fraises ou du travail saisonnier chez des fraisiéristes permettait d'arrondir les fin de mois...

M.P.: Les besoins en eau sont-ils importants?
M. Fréquin: Ils sont énormes… heureusement, j'ai un puits! Pendant plus de 20 ans, c'est mon épouse qui traînait un tuyau de 100 mètres et arrosait un fraisier à la fois pour éviter la pourriture… Quand elle arrivait au bout, il fallait recommencer au début… maintenant, l'arrosage se fait par des tuyaux perforés, placés sous le plastique noir de la plantation. Ces tuyaux sont raccordés par une rampe à l'un de mes 3 gros tonneaux sur roues. Il faut une journée pour arroser une serre, par gravité… Cela doit être fait tous les 8-10 jours.

M.P.:Qu'y a-t-il dans ces boîtes en carton, au milieu des serres?
M. Fréquin: Ce sont des ruchettes qui contiennent une centaine de bourdons. Ces bourdons, qui volent dès qu'il y a 3 à 4° de température, permettent une bonne fécondation des premières fleurs en mars, pour obtenir de belles grosses fraises. Les abeilles prennent le relais naturellement, un mois plus tard, car elles attendent une température d'au moins 12° pour sortir…

M.P.: Comment se succèdent tes travaux, tout au long de l'année?
M. Fréquin:
- Vers le 15 février, montage de la bâche plastique sur les arceaux des serres.
- Aération des serres en fonction du temps. (Ouvrir les portes et écarter les ouvertures le matin et les refermer le soir)
- A partir d'avril, aération tous les jours
- Par menace de gel, déploiement de voile d'Acryl dans les serres et en pleine terre (à mettre le soir et enlever le matin).
N.B. Jusqu'en 1995, on protégeait du gel en ramenant la paille sur les fraisiers le soir. Le lendemain matin, on dégageait la paille pour permettre la fécondation des fleurs… c'était fastidieux! Certaines années, on utilise des canons à chaleur dans les serres, pour que la température ne descende pas sous +3°
- De mai à septembre: cueillette et vente
- En juillet, prélèvement des stolons, et mise en pépinière pour obtenir de belles racines en 3 semaines
- Arrachage des fraisiers dans les serres et démontage des bâches plastiques
- Début août, période optimale pour les plantations; par temps sec, arrosage journalier (en soirée ou la nuit) jusqu'à la reprise des plants. (L'an dernier, j'ai dû remplacer 4000 des 7000 plants, brûlés par la canicule)
- Septembre, on replante à 20x20cm, les plants destinés au frigo (tardifs et 4 saisons)
- En décembre, placement des tuyaux perforés dans les serres et les petits tunnels
- Bêchage d'un sillon autour des serres (600m au total), pour y enterrer les bords de bâche plastique en février
- Après le premier gel, préparation des plants frigo (arrachage, couper les feuilles et laisser 1cm de cœur, laver les racines et mettre en sacs plastiques). Je conduis ces plants chez un camarade à Saint-Trond, où ils sont plantés en mai et produisent 10 semaines plus tard. Cette technique permet de retarder d'un mois la mise à fruits.
- Excepté pendant une courte période hivernale, il faut régulièrement désherber les serres et les cultures, à la main, je n'emploie pas d'herbicide…

Malonne Première félicite Michel et Jeanine Fréquin pour leur contribution à la renommée de la Fraise de Malonne.
Nous remercions Michel pour son témoignage fort intéressant sur le patrimoine de notre terroir, et lui souhaitons bon rétablissement après la grave opération qu'il a subie dernièrement.

Texte: J.C. GUYOT
Photos: Roger LEGRAIN