Petite ou grande histoire religieuse
Or donc, Moïse avait le coeur et le visage souriants en rentrant chez lui.
C'est alors qu'il aperçut à quelques pas de son domicile un pauvre diable assis sur ses talons occupé à marmonner ce qu'il perçut comme une prière. Curieux d'en savoir plus, il s'approcha sans bruit et tendit l'oreille.
Mon Dieu, murmurait l'autre, je ne te connais pas bien du tout mais ce que je peux te dire, c'est que si tu as besoin de moi, tu peux faire appel. Je ferai ce que je pourrai. Si tu as faim, je partagerai mes croutons, si tu as froid, je te donnerai la moitié de mon manteau et, si tu as des poux, je t'aiderai à t'en débarasser.

Devant ces horreurs, Moïse n'y tint plus, ses quelques cheveux restants se dressèrent sur la tête et sa barbe vénérable tourna, de colère, à un gris sel très prononcé .
" Comment oses-tu parler ainsi à ton Dieu ? Il n'a que faire de tes croutons, de ton manteau. Et quel sacrilège d'oser imaginer qu'il peut avoir des poux ! Je ne sais ce qui me retient de te faire passer devant le conseil des Anciens pour cause de prières blasphématoires".
Devant ce personnage si fort coléreux, notre homme s'écroula tout tremblant.
"Tu sais, s'excusa-t-il, moi, je n'ai pas été à l'école. J'ai pas de formation et pour parler à Dieu, j'ai pris les choses que je connais. Moi, la faim, le froid, les poux, c'est presque toute ma vie. Je ne pêux lui parler de rien d'autre puisque je ne connais rien d'autre".
Devant ces paroles réfutantes, Moïse s'apaisa quelque peu et retrouvant ses instincts pédagogiques du temps où il enseignait à l'université, il s'assit près de son congénère et se mit à lui expliquer de long en large comment il fallait s'y prendre pour bien prier ?
Il y avait d'abord des conditions de départ qu'il ne fallait négliger à aucun prix; puis une mise en jambe qui échauffait le département religieux de notre intelligence. Et puis, ...et puis...
Moïse parla longuement et sa voix puissante parcourait avec élégance toutes les structures de la technique de la prière idéale .
Son allocuteur en demeurait silencieux, la bouche un peu ouverte et les yeux brillants d'admiration. Sûrement que maintenant il allait pouvoir prier valablement et obtenir ainsi tout ce qu'il voulait.
Après une franche poignée de mains, les deux hommes se séparèrent et Moïse reprit la route de son domicile en faisant un détour par le buisson ardent où il avait coutume de rendre des comptes et de recevoir des ordres.
Il s'assit donc là, attendant la lumière habituelle. Mais ce soir-là, le buisson resta éteint.
Que se passe-t-il ? se demandait Moïse, un peu inquiet. Enfin, une voix lasse sortit de l'amas de branchages.
"T'as vraiment pas compris grand'chose, Moïse, et je me demande si je ne perds pas mon temps avec toi. Je préférerais cent fois écouter ce que me racontait ce pauvre bougre que ce que tu prétends lui avoir enseigné. J'espère qu'il va rapidement oublier tes billevesées. Un bon conseil, mon vieux, recycle-toi car tu es drôlement dépassé".
On ne sait ce que Moïse est devenu depuis lors. Certains disent qu'il s'est fait berger là-haut dans la montagne, qu'il a perdu la foi et ne veut plus voir personne. D'autres, par contre, prétendent qu'il est monté à Rome et qu'il est entré sous un faux nom dans la congrégation des "Gardiens de la vraie foi" et qu'il y fait de l'excellent travail.

Tout çà me direz-vous, ce ne sont que des histoires. Peut-être bien que oui ! Peut-être que non ! Allez donc savoir.


Texte : L'escribouilleur