Au
centre géographique de Malonne, il y a Insevaux. L'endroit où
la gorge du Landoir se fait la plus étroite, la plus sauvage. Dans
sa partie la plus encaissée, pas question de voir le soleil après
17 heures, même le 21 juin ! Il ne faut pas être grand clerc
pour deviner que " Insevaux " signifie " dans le val ".
Sous l'ancien régime, du temps où Malonne était encore
liégeois, on écrit " eslinaux " (es liveau / es
li veau = dans le val). Dans le Nouveau dictionnaire des Communes,
du Royaume de Belgique de E. GUYOT, 1927, on l'écrit " Inseveau
". C'est devenu aujourd'hui " Insevaux ".
Depuis la fusion des communes et l'instauration de nouveaux noms de rues,
au 1er janvier 1981, Insevaux n'est plus ce qu'il était ! D'abord,
les limites en étaient différentes. Insevaux, ça
commençait très exactement au " Tchafor ", c'est
à dire au " Four à chaux ". Vous en voyez toujours
les ruines transformées en garages juste en face du débouché
de la Navinne. Cette limite nord n'a pas changé.
Au sud, c'est différent. La dernière maison d'Insevaux,
c'était, d'un côté, la pharmacie d'Oscar Henin (devenue
successivement " Auwers ", " Lastelle " et maintenant
" Familia ") ; de l'autre, la maison de Christian Bokiau, c'est
à dire l'ancienne " papinerie ". C'est en effet dans
cette maison et aussi, à mon avis, dans celle d'Aubert Verdonck,
en face, juste après la pharmacie, qu'était établie
une ancienne papeterie ; on voit encore des traces d'emplacement de roue
à aubes dans le bâtiment annexe de la maison d'Aubert Verdonck.
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Après la pharmacie, c'était le Malpas. En 81, on a prolongé
Insevaux jusqu'au carrefour du Ranimé. Mais Insevaux, c'étaient
deux rues. Celle d'aujourd'hui, dans les limites que je viens de décrire
et la rue Joseph Massart. On a donné ce nom à la rue qu'habitait
le dernier bourgmestre de Malonne avant le règne record de Fernand
Colon. Après l'école Saint-Joseph, il y avait la maison
des Mingeot, et puis c'était chez Joseph Massart, un commerce de
grains, engrais etc. L'une de ses filles, Claire, épouse de Camille
Saint-Martin, professeur aux écoles normales, y a vécu jusqu'il
n'y a guère.
Il faut savoir qu'avant la fusion des communes, il n'y avait pas de nom
de rues à Malonne, ou du moins, on ne les utilisait pas. Rien que
des hameaux. 52 hameaux ! (Plus une bonne centaine des lieux-dits au moins).
Chaque hameau pouvait se contenter de quelques maisons seulement, mais
comportait souvent plusieurs rues. Et une seule numérotation pour
tout Malonne ! Le numéro 1 était à la " Gueule
du Loup " et le dernier je ne sais où. Je vous laisse deviner
les misères des étrangers ou des livreurs qui cherchaient
une maison précise dans Malonne. Leur désarroi quand on
passait sans transition du 427 au 1036 ! Les facteurs, eux, s'y retrouvaient.
Même F.N. (Je n'en dirai pas plus sur son nom
) arrivait -
quoiqu'en retard - à faire sa tournée le jour du nouvel
an, malgré les petites gouttes avalées à chaque maison.
On s'arrêtait partout, ce jour-là, même chez ceux pour
qui il n'y avait pas de courrier !
Si l'on s'occupe de l'aspect d'Insevaux à travers les âges,
on peut dire pas mal de choses.
Autrefois, Insevaux, c'était la coupure entre le Malonne du nord,
tourné vers l'abbaye, et celui du dessus, plutôt contre.
Tout était
en double ; il y avait les sociétés des " calotins
" et celles des " anti-calotins " ; il y avait la fête
du fond et celle du Malpas, et Médaille ne pouvait pas être
chaque année présent aux deux. Alors, pour ne vexer personne,
il alternait. (Rappelons que " Médaille " était
le surnom donné à la famille Tissot, qui tenait une baraque
à frites et un manège de chevaux de bois galopants qui,
lui, est toujours en activité).
Cette coupure a des raisons géographiques. L'endroit était
sinistre : un chemin (pas une route) longeant un ruisseau au fond d'une
vallée encaissée et boisée. Il n'y avait pas d'éclairage
public ; pas ou peu de maisons. On y passait le moins possible, les soirs
d'hiver. Au XIXème siècle, la situation va évoluer.
On y bâtit quelques maisons, le chemin s'élargit ; la commune
installe sa maison et son école ; la rue Joseph Massart devient
mieux qu'un sentier surtout après la construction de l'école
Saint-Joseph.
Au début du XXème siècle, le ruisseau n'était
pas couvert. Il serpentait au fond de la vallée. Là où
est la " cour de la ferme " de l'Institut Saint-Berthuin, était
un joli petit étang. Un peu avant la guerre quatorze, le ruisseau
fut en grande partie couvert et le chemin pavé. (La rue Joseph
Massart ne sera asphaltée qu'après la guerre quarante).
Si l'on examine des cartes postales
du début du XXème siècle et de l'entre-deux-guerres,
on constate que les flans de la vallée étaient fortement
déboisés. Les gens du coin exploitaient beaucoup les taillis
qui y poussaient, pour le chauffage des maisons. On faisait des fagots.
D'autre part, un lieu-dit comme " Les Tiennes " (aujourd'hui,
" Sur les Ternes ") était naturellement non boisé
; c'était une sorte de lande où ne poussaient
guère que des genets (comme plus bas dans la vallée, au
" Tienne del gatte "). C'est la commune
de Malonne qui a décidé de rentabiliser le terrain en y
plantant des pins. Ce bois était fort prisé dans les mines
de charbon. Nos braves édiles n'avaient pas prévu que quand
les pins seraient arrivés à maturité, il n'y aurait
plus de charbonnages en Belgique ! Depuis 1945, l'exploitation des bois
a cessé et les taillis ont à nouveau recouvert les flans
de la vallée et lui ont rendu une part de sa sauvage beauté.
Insevaux sera principalement bâti entre 1870 et 1940. Depuis cette
dernière date, on n'y a presque rien construit de neuf, sauf bien
sûr l'école " communale " (devenue " de la
communauté ") et les transformations de l'école Saint-Joseph.
Insevaux, c'était aussi, au XIXème siècle, une zone
de carrières. Citons-les. La première, celle du
" Four à chaux ", au débouché de la Navinne,
je l'ai dit plus haut, appartient à l'Institut Saint-Berthuin.
Le fond en a été aménagé dans les années
50, en mini-golf.
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Mais l'accès en était si pratique que ça n'a jamais
beaucoup servi ! Depuis, les taillis ont repris leurs droits. En face,
dans la Navinne, exploitant le même banc de roches, une autre carrière
se creusa suffisamment pour laisser la place à " l'Externat
" (ancienne école primaire) de Saint-Berthuin et à
l'Infirmerie. L'Externat est devenu la salle des fêtes. Dans celle-ci,
deux portes ouvrent sur des réduits où l'on range les décors.
Ces réduits sont les bases de deux anciens fours à chaux.
Ces deux carrières exploitaient en effet le " bleu caillou
de Malonne " moins comme pierre de taille que pour le transformer
en chaux. Plus en amont, l'une en face de l'autre, deux carrières
de dolomies.
Rive gauche, la carrière fut exploitée jusque dans les
années 1940. Elle accueille aujourd'hui les locaux scouts et guides
de Malonne.
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Un sentier très escarpé part de là vers les "
Champs de Malonne ". Au passage, on peut voir une grotte qui fut
agrandie par les habitants des Champs pour servir d'abri anti-aérien.
En face, rive droite, la " carrière d'en face ", comme
on disait, abandonnée plus tôt, servait de plaine de jeu
à tous les gosses du quartier. Elle offrait un terrain idéalement
accidenté, herbu et juste assez boisé que pour fournir les
matériaux nécessaires à la construction des cabanes.
C'était la S.N.C.V. qui nous l'entretenait gratuitement tous les
ans. En effet, le tram à vapeur, qui descendait de Mettet tous
les matins et y remontait tous les soirs, ne manquait pas, en période
de sécheresse, de déposer délicatement quelques braises
incandescentes dans l'herbe sèche au milieu des rails. Le feu passait
ensuite à la carrière. Le temps que les pompiers arrivent,
le débroussaillage était fait. Les bus n'ont hélas
pas les avantages du tram à vapeur. Les taillis et les arbres ont
donc pu pousser à l'aise, et tant pis pour les enfants.
En amont de cette carrière, quelques rochers servaient de mur d'escalade
et de point de vue. Un peu plus haut, au flan de la vallée, s'ouvrait
une grotte, un boyau où les enfants pouvaient marcher courbés.
30 mètres ? 100 mètres ? Je ne sais plus. Tout ce dont je
me souviens, c'est qu'à quelques mètres de l'entrée,
par une faille s'ouvrant dans le sol, on pouvait entendre couler le ruisseau,
tout en bas. C'était là le Trou des Nûtons. L'entrée,
depuis, s'en est effondrée. Il serait bon pourtant de la retrouver.
Qui sait si des fouilles appropriées ne permettraient pas de découvrir
un " homme d'Insevaux " comme on a bien " l'homme du Petit
Ry ". Ce serait aussi l'occasion de rechercher ce que sont devenus
les nûtons, chers à notre enfance.
La dernière carrière, toujours rive droite, est celle du
Maupelin (le Mont Pelé ?), en face de l'école de la Communauté
Française. On y a exploité jusque dans les années
50, du grès famennien (grès psammite). Comme chaque tir
de mines envoyait des pierres jusque dans les cours de l'école,
il a fallu arrêter.
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Insevaux, comme tout Malonne d'ailleurs, avait ses sentiers. On marchait
beaucoup, dans le temps. Rappelons-les, il en reste quelques-uns uns.
Rive gauche. Démarrant avant le four à chaux, un sentier
monte au " Petit Plateau ". Il existe toujours. Ensuite, partant
de derrière la première maison d'Insevaux (là où
sera plus tard la friterie), un second menait aussi au " Petit Plateau
" ou, par une bifurcation, aux " Champs de Malonne ". Il
n'en reste presque rien. À partir de la carrière où
se trouvent les locaux scouts, on parvenait, en passant devant la grotte-abri
dont j'ai parlé plus haut, aux Champs de Malonne, de même
qu'en partant du jardin des surs de l'École Saint-Joseph.
Ce dernier sentier a disparu. Toujours utilisé, le sentier qui,
prenant tout de suite après l'École Saint-Joseph, menait
soit aux Champs de Malonne par la Taille des Sarts, soit aux Tiennes (sur
les Ternes).
Rive droite, un sentier démarrait derrière les murs de la
cour du Gymnase et longeait la propriété de Saint-Berthuin
jusqu'au bout de la cour de la ferme. Là, il bifurquait ; à
droite, on redescendait dans la " carrière d'en face "
; à gauche, en longeant le sommet des carrières, on arrivait
à Chepson. Un embranchement à travers bois et champs aboutissait
à Reumont.
Entre la rue d'Insevaux et la rue Joseph Massart existent toujours des
raccourcis pédestres. Le premier est un escalier en face de la
cour de la ferme de Saint-Berthuin. Ensuite, un sentier-escalier très
raide arrive devant la salle paroissiale. Avant l'école de la Communauté
Française, part le troisième lien ; il arrive près
de chez Joseph Massart, justement. Le quatrième, plus court, unit
le pied du Petit-Ry à la rue J. Massart.
Le Landoir n'était pas tellement pollué. Vers 1950 encore,
un riverain chaussait parfois ses bottes, prenait une lampe de poche et
une fourchette ; il pénétrait alors dans la partie souterraine
du ruisseau. Il était rare qu'il n'en ressortît pas avec
quelques belles truites pour le dîner. Quand la vie était
plus calme, la circulation moins dense, on prenait plaisir à écouter
chanter le ru, d'habitude
bien paisible. Pour nous rappeler son importance et faire un peu de son
nez, il sortait de son lit tous les vingt-cinq ans pour aller noyer quelques
caves ou envahir quelques rez-de-chaussée. À part ces événements
très utiles pour alimenter la conversation des grands-parents,
il faisait bon vivre à Insevaux. La terre des jardins y était
fertile, les gelées tardives laissaient nos cerisiers en paix.
Simplement, on aurait aimé avoir plus de soleil en été.
Mais on ne peut pas tout avoir, les cerises chaque année et le
soleil après cinq heures !
Insevaux, ce n'était rien moins qu'un des 52 hameaux de Malonne.
52 petits villages ou mieux, 52 grandes familles. On se connaissait, on
s'entraidait, on allait chez l'un, chez l'autre, chercher de l'eau, emprunter
du sel, bavarder, que sais-je. On se disputait aussi, bien sûr ;
on a vu d'honorables mères de famille se bagarrer à coups
de seaux d'eau d'un côté à l'autre de la rue
Bref ! On vivait. L'Insevaux d'aujourd'hui a-t-il gardé cette chaleur
d'antan ? Sans doute pas. La vie moderne fait que même à
la campagne, on vit un peu comme à la ville et on en arrive parfois
même à ne pas savoir qui est son plus proche voisin. Notre
époque a peut-être gagné en confort. Mais qu'en est-il
des relations humaines, notamment celles de bon voisinage ? Celles où
l'on pouvait encore prendre le temps de vivre ?
Pierre Ducarme.
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